Le code de la route revu et corrigé par un artiste!

A Rome, il n’est pas rare de voir au détour d’une rue
de drôles de panneaux à la signalétique plutôt cocasse, signés : Abraham Clet.
Bien que français, Clet est un artiste très actif en Italie.
Après avoir fait l’école des Beaux-Art de Rennes, il s’est installé pendant 3 ans à Rome,
avant de partir vivre à Florence, où il réside aujourd’hui depuis 15 ans.
Clet est ce qu’on appelle un artiste urbain. En faisant du « street art », il recherche le contact avec son public.
Pour lui, l’art n’est pas fait pour être enfermé dans un musée.
Son but est de le communiquer à tous.

Depuis quelques années, Clet envahit les rues de Rome, mais aussi celles des grandes villes européennes, comme Londres, Paris, Barcelone, Berlin mais aussi Florence, en détournant les panneaux signalétiques de leurs fonctions premières. Les panneaux aux messages universels, permettent à l’artiste de s’adresser à tous, bien au delà des frontières d’un pays.

De nos jours, l’appellation « Artiste » est trop souvent galvaudée. Des hommes en manque d’inspiration mais en quête de gloire et de succès commercial, justifient leurs créations où les notions propres à l’art ont complètement été bannies, sous le concept « d’art conceptuel », et font de l’art contemporain un art soit-disant élitiste.

Si l’art conceptuel vous échappe, délectez-vous de ce nouveau « coup de cœur », avec un artiste facile à comprendre.

Abraham Clet réinterprète les panneaux pour leur donner un sens positif. Ces derniers ont par essence une connotation négative, puisqu’ils interdisent et obligent. « Ne te stationne pas  ici ! », « Tourne à droite ! » …  Nos villes débordent d’ordres, d’interdictions et d’impératifs, qui polluent notre visuel quotidien et nous asservissent.
Par ses interventions, Clet positive ces interdictions et loin de les cacher, au contraire, il les valorise, sans jamais compromettre la lecture signalétique. Les interventions de Clet attirent notre regard, elles viennent donc renforcer le but premier du panneau qui est d’être vu et lu ! Sans oublier que cet attrait visuel permet de mémoriser le panneau, ce qui est plutôt positif!

Avec la complicité de son vélo, Clet atteint les panneaux pour leur coller des autocollants pleins d’humour. C’est ainsi qu’à l’annonce de deux directions obligatoires, un petit diable nous guidera dans notre choix ; qu’un piéton traînera un boulet de prisonnier au pied; qu’un oiseau « souillera » un panneau, tel un pied de nez face à l’interdiction; qu’une « flèche d’obligation » se penchera pour nous cueillir une fleur; sans oublier les innombrables « sens interdits » revus et corrigés pour notre plus grand plaisir.  Connu pour ces panneaux signalétiques, Clet est aussi un sculpteur. C’est ainsi que la barre blanche du sens interdit prend dans certains cas forme humaine.

Toutefois, tous ne perçoivent pas l’art de la même manière et nombreux sont ceux qui voit dans le geste de Clet une dégradation du bien public. En 2012, une amende plutôt conséquente lui fut assignée par la police municipale de Pistoia près de Florence, après avoir été pris en flagrant délit de collage ! A Rome, sa liberté d’expression fut également limitée, ses interventions ayant parfois été censurées, notamment celles ayant pour thème la religion.   Il est vrai que certains panneaux interpellent plus que d’autres. Une voie sans issue convertie en crucifix ou en Pietà, peut effectivement choquer les plus puritains. La religion est un thème récurrent dans l’œuvre de Clet. Les obligations d’aller tout droit à la prochaine intersection sont souvent couronnées d’anges. Dans une ville qui fut longtemps la capitale des territoires pontificaux et qui accueille aujourd’hui le Vatican, on ne plaisante pas avec la religion.
Et pourtant, les interventions de Clet s’inscrivent dans une thématique ancrée depuis des siècles. Le centre historique de Rome possède environ 500 oratoires dédiés à la Vierge. On les découvre à chaque coin de rue, telle que la place Farnèse où l’on en compte pas moins de 3 !

Avec son art,  Clet enrichi la ville de ses images pieuses. Je vois même dans l’œuvre de Clet, une certaine continuité avec la Ville Eternelle. Au cours de la contre-réforme, les papes ont converti bons nombres d’œuvres païennes. Sans scrupules, l’Eglise avait jadis récupéré à ses fins des colonnes honorifiques. C’est ainsi que les empereurs Trajan et Marc Aurèle, furent remplacés par les apôtres Pierre et Paul. Dans un procédé similaire, les papes ont soustrait les obélisques de leur rôle originel, pour les couronner de croix ou de colombes du saint Esprit. A Rome, trois obélisques (celui de la Place du peuple, de la place d’Espagne et de la Basilique Sainte Marie Majeure) serviront même de flèche monumentale, guidant ainsi les pèlerins arrivés par la porte Flaminia (place du peuple) à se diriger vers les Basiliques de Sainte Marie Majeure et de saint Croix en Jérusalem. Ces quelques exemples montrent clairement que le détournement « d’objet » à des fins catholiques, est chose courante à Rome ! Voilà pourquoi l’œuvre de Clet prend à Rome un sens tout à fait particulier.  Les « flèches angéliques » de Clet n’ont pas pour fonction de guider les pèlerins.  La démarche intellectuel de l’artiste est d’ailleurs très certainement sans lien avec mon propos. Mais l’art étant subjectif, j’aime à voir dans l’œuvre de Clet,  notamment dans ces collages aux thèmes religieux, une continuité visuelle dans le paysage romain.

Il n’y a pas de blasphème dans l’œuvre de Clet, même si l’on peut y déceler un soupçon de dérision. Clet désacralise la religion avec humour ! A Rome la religion catholique pèse de tout son poids. La ville nous offre la possibilité d’utiliser les transports publics gratuitement pour Pâques. On aide le pèlerin à se rendre à saint Pierre, on ajoute même des lignes de bus, alors que parallèlement à cela, vous attendez tous les jours  40 minutes votre autobus pour vous rendre sur votre lieu de travail. On se doit d’arriver à saint Pierre de Rome à l’heure pour la messe papale, mais on peut arriver en retard au travail !!!  Bien sûr qu’il faut rire de ces Pietàs et de ces crucifixions, qui plus est, ont trouvé logis sur des panneaux sans issue ! Est-ce la religion qui est sans issue ou plutôt est elle notre seule issue ? Comme tout artiste digne de ce nom, Clet a une démarche intellectuelle et son œuvre pose une problématique.

Les panneaux les plus prisés de Clet, sont les sens interdits. Certains nous montrent notre reflet dans le rétroviseur, d’autres révèlent un homme prisonnier dans la barre, mais le plus souvent, ils nous montrent un homme, parfois ailé, enlever ces interdictions. Par ce geste, Clet nous invite clairement à se « libérer de nos propres interdits ». Est-ce un hasard si certaines barres disparaissent, grignotées sous l’action d’un « pacman »?

Au cours de mes visites guidées, nombreux sont mes clients qui tentent en vain d’éviter un panneau sur leurs photos. Aujourd’hui, ils  photographient presque autant les œuvres de Clet que les statues et fontaines du Bernin ! La réussite de cet artiste tient dans cette phrase ! Le pari de Clet est donc gagné : « Rendre le panneau artistique pour qu’il ne soit plus une erreur dans le paysage d’une ville ».

Réussir à imposer un nouveau langage dans des villes riches d’œuvres antiques, renaissances et baroques, n’est pas facile ! Pourtant il est important que Rome ne s’enferme pas dans son passé. Clet contribue à faire de Rome une ville moderne, s’ouvrant à l’art contemporain !!